Si la passion se rapportait à une flamme incandescente, Hunter x Hunter serait non pas un brasier mais un soleil. Une étoile aveuglante autour de laquelle on ne peut simplement pas s'empêcher de graviter. Et à raison d'ailleurs.
Quand certaines créations manga reposent sur un effet de mode narratif parfois trop éculé, Hunter x Hunter mérite son succès. Personne de censé, en effet, ne peut formuler d'argument rationnel pour seulement entacher la réputation d'un manga irréprochable par essence. Si ce n'est des anathèmes mal articulés et des borborygmes abscons, pas une phrase, pas un mot et pas même une virgule ne sera jamais parvenu à ébranler ce qui tient non plus du chef d'œuvre, mais de la légende.
Car Hunter x Hunter est un renouveau du shônen. Le manga s'inscrit dans un courant artistique et narratif qui lui est propre et qui, malheureusement, connaîtra peu d'imitateurs. Et pour cause, s'inscrire dans la lignée de Hunter x Hunter requiert de l'exigence, de la minutie et du savoir-faire. HxH est bien le renouveau du shônen en ce sens où il ne trahit aucun de ses codes mais se joue de ceux-ci pour les remanier à sa sauce. Un regard avisé – et émerveillé – verra dans l'œuvre ultime de Yoshihiro Togashi une révolution copernicienne propre au genre nekketsu.
Le nekketsu, signifiant littéralement « sang chaud » en japonais, fait référence à un style de shônen particulier et très répandu. Les codes du nekketsu impliquent généralement un personnage principal ayant bon cœur, réunissant autour de lui des amis fidèles qui, ensemble, affrontent des antagonistes se voulant de plus en plus puissants à mesure que les arcs se succèdent. La recette vous dit quelque chose ? Et pour cause, elle est l'une des plus répandues ou, en tout cas, des plus notoires en matière de shônen.
Hunter x Hunter, en dépit de la maturité de son récit, répond cependant favorablement à tous ces critères précédemment énoncés. Gon, le personnage principal y est présenté comme une figure innocente et pure cherchant à retrouver son père. Il passera alors l'examen Hunter afin de marcher dans ses traces et ainsi le retrouver. Son chemin, néanmoins, l'amènera à rencontrer de nombreuses figures hostiles qu'il se devra d'affronter. Chaque escale de son périple sera une marche de plus à même de le hisser plus haut dans sa quête de puissance.
Tout y est ; le personnage apparemment gentillet – mais ô combien subtil quand Togashi se charge de son écriture – un objectif simple, un prétexte à l'aventure et de nombreuses rencontres permettant de multiplier amitiés et inimitiés. Rien n'est laissé au hasard, les ingrédients du nekketsu lambda sont ainsi réunis. Et pourtant, bien que dessiné en noir et blanc, Hunter x Hunter renvoie au gris. Ce gris si ambigu qui trompe nos repères moraux et nous amène à reconsidérer tout ce qui avait trait au bien et au mal. Le nekketsu classique, en effet, s'illustre certes par son sens de l'aventure et de l'épique, mais aussi par un manichéisme trop accentué qui, souvent, décrédibilise le propos d'une œuvre s'adressant aux plus jeunes. Mais Yoshihiro Togashi, qui a connu son premier succès avec Yu Yu Hakushô au début des années 1990, sait que son public a grandi et continue malgré tout à lire des shônens. Pour cette raison, il sera parvenu à remanier le récit ainsi que le cadre narratif classique du nekketsu pour l'adapter à leur âge sans pour autant trahir les piliers sur lesquels repose le genre.
Ce n'est pas céder à la dithyrambe pompeuse que de dire de Hunter x Hunter qu'il est une révolution dans le paysage shônen. Une révolution qui, hélas, ne connaît que trop peu d'adeptes parmi les auteurs actuels. Un peu à la manière du Blues qui a révolutionné la musique à partir d'instruments pourtant employés depuis des siècles, Yoshihiro Togashi, sans jamais violer les codes du shônen nekketsu, sera parvenu à donner au genre un prestige que personne ne lui aurait soupçonné.
Car, oui, Hunter x Hunter est adulte dans son propos et trouve moyen de capter l'attention des adolescents. Il n'est pas question ici de céder au gore graveleux – bien que certaines scènes soient particulièrement graphiques – mais d'insinuer un sens de la noirceur diffus et maîtrisé. La candeur se mêle ici à l'atroce et tout deux dansent de concert dans un spectaculaire ballet macabre. Hunter x Hunter est antithétique et cohérent à la fois, un peu comme un mélange salé-sucré savoureux.
Les personnages en premier lieu, sont tout en nuances. Ses quatre personnages principaux paraissent semblables en tout point à ceux
de son œuvre précédente : Yu Yu Hakushô. Gon et Yusuke ont le cœur pur, Hiei comme Kirua a ce tempérament ténébreux d'anti-héros tant apprécié des lecteurs, Kurama et Kurapika incarnent la posture de la sagesse quand Kuwabara et Leolio partagent ce tempérament impulsif et ce sens de la gaudriole à même de donner le change dans les situations graves.
Et pourtant, si ces personnages principaux ont été moulés à partir d'archétypes bien connus du monde du shônen, Togashi se sera employé à retravailler leurs finitions jusqu'aux plus infinis détails. La perdition progressive de Kurapika dans sa quête de la vengeance, la dévotion quasi-maladive de Kirua pour Gon et son rapport particulier à l'amitié non sans compter l'amoralité de Gon dont la pureté fait parfois le lit d'une cruauté et d'une absence de remords qui ne dit pas son nom, tout cela participe à la beauté de ce manga où le blanc se mélange si bien au noir.
Pas un personnage secondaire – ceux-ci étant particulièrement nombreux – aura été écrit pour simplement remplir un rôle. Tous ont une personnalité bien marquée qui, en plus, leur permettent en quelques répliques à peine d'apparaître plus profonds et nuancés que des personnages principaux de bon nombre de shônens. Les figures d'antagonismes, souvent cruelles, trouvent même un curieux attrait. On se surprend à éprouver de l'empathie pour eux tout en sachant ce qu'ils sont. La dynamique interne de la brigade fantôme à elle seule mériterait la rédaction d'un traité sur l'excellence.
Quand, dans la plupart des nekketsus reposant sur le combat, il se trouve souvent un groupe d'antagonistes coalisés, Hunter x Hunter, sans déroger à cette règle une fois encore, tort toutefois le cou à cette dernière. Une organisation d'antagonistes, dans un shônen, est souvent cruelle par-delà les limites du raisonnable. Les motivations de ses membres sont souvent vaporeuses et la justification de leurs exactions repose sur le mal pour la finalité du mal. La brigade fantôme n'est censée être qu'un ramassis de voleurs et d'assassins sans scrupules. Mais avant d'être cela, ce sont des amis, au même titre que les personnages principaux. Aussi, quand l'un des leurs vient à périr, contrairement à bon nombre de shônens, ce n'est pas avec indifférence que les autres membres recueillent la nouvelle. On a beau les savoir horribles, prompts aux pires atrocités, on ressent leur souffrance mieux que personne quand ceux-ci réagissent à la mort d'un ami cher. Le requiem entamé par leurs soins, alors, sera macabre. Mais on ne parviendra pas à leur en tenir rigueur.
Togashi, avec son œuvre, met fin au manichéisme ostentatoire dans le milieu du nekketsu. Et cela, tout en maintenant la cruauté de ses antagonistes intacte. Son écriture va au-delà de la subtilité dans l'écriture. Il ne donne pas des bons côtés aux personnages «mauvais» afin de donner le change, mais il démontre que même les plus immoraux des personnages ont une psyché qui leur est propre. Une psyché que l'on apprendra à mieux comprendre et qu'on partagera parfois en sachant pourtant ce qu'ils sont. Rarement un auteur, qu'importe la fiction, aura su autant bouleverser les rapports entre le bien et le mal et brouiller les pistes à ce point. Cela avait commencé avec Yu Yu Hakushô alors que le personnage principal, supposé prompt à défendre la veuve et l'orphelin, avait encouragé un démon à dévorer un humain pour se renforcer, admettant par là que lui aussi était finalement d'essence démoniaque.
Il y a tant et tant de raisons de se plonger dans Hunter x Hunter. Et chacune de ces raisons mériteraient un exposé approfondi pour mieux souligner le génie de l'écriture, sans parler du dessin à la fois fonctionnel et incisif, dont le ton s'accorde à merveille à celui de la trame.
Que ce soit son scénario hors les murs aux ramifications aussi complexes que celles d'un polar écrit d'une main de maître, la richesse enfouie dans chaque personnage, les dynamiques inédites entre protagonistes et surtout, l'ingéniosité des combats et du système sur lequel ces derniers reposent, 10 tomes ne seraient pas assez pour écrire et hurler à pleine page le génie de l'auteur.
On ne peut pas résumer globalement en quoi Hunter x Hunter est le shônen ultime, car pour ce faire, il faut nécessairement prendre le temps de s'investir sur chaque arc, sur chaque scène, peut-être même sur chaque personnage pour mieux prendre la mesure de la grandeur incarnée au format manga.
A propos de l'auteur Sari